Graviers d’ombre, poésie de l’inconfortable condition humaine
/image%2F1615600%2F20220320%2Fob_6e4e63_img-20180829-110456-112713.jpg)
Éloge aux poèmes courts ! Samuel F. DAUPHIN ne s’en cache pas. Les citations qui ouvrent le recueil en attestent. Disons comme André Spire : « Il y a des poèmes à ondes courtes »
Dans l’univers de Samuel les ondes sont courtes mais l’écho est vaste.
Disons qu’il s’agit d’une poésie acérée dont les mots dansent leur folie en rendant compte du dérèglement du réel. « les dieux qui ont fui la divinité » nous visitent.
« le soleil traverse
la limite
en fumée sèche »
Nous sommes plongés dans un réel qui se déréalise sous nos yeux par la vertu d’un surréalisme qu’engendre le choc inattendu des mots. Poésie déroutante et déroutée comme s’il fallait chercher au-delà de la logique ordinaire l’irruption d’un autre rapport au monde.
Pourtant le « je » est là, conscience au galop « sur l’avancée du destin », tentant de dire l’indicible. Poésie de l’inconfortable condition humaine. J’ai presque envie de dire qu’il s’agit d’une « poésie blanche » au sens où elle habite l’anti-poésie ou l’envers d’une parole dont il ne reste que les os.
Sa force d’ailleurs vient de là ! De l’impensable, du tranchant des images, de l’art même des bribes qui répondent à une désolation à la fois intime et collective.
« les chiens ont vomi
les relations sexuelles
sur l’épaule gauche
du purgatoire »
Soudain, dans l’épure la parole se fait sentence :
« seule la virée
se fout
de l’étape »
Comme s’il était question de rattraper un sens non seulement perdu mais en perdition.
Folie contrôlée et qui creuse d’un souffle court le scandale du vivre. Le vocabulaire, lui-même, fonctionne tout en violence.
« l’émeute s’érige
en haleine d’église »
« le ciel gavé de cris »
« creux comme charogne métallique »
« les danses disloquées »
Et malgré tout, une tendresse affleure comme l’orgueil d’un refus :
« aide-moi
à priser ce désir entrebâillé qui
marchait sur mes âges»
Poésie humaine, trop humaine, hantée par la révolte, tentée par le nihilisme, en déséquilibre sur les mots !
Le morbide n’est jamais loin ! Il est grouillement de la vie, matière décomposée, explosion du sens et désordre du langage ! Mais un morbide profondément lucide où la beauté n’est plus de mise et en même temps tout concourt à la nostalgie de la beauté ! Baudelaire aussi n’est pas loin ! Je veux dire l’absolu de sa souffrance !
Samuel Dauphin n’est pas à lire sans précaution. Graviers d'ombre est une singulière aventure langagière.
Ernest Pépin, Guadeloupe
Source :
http://lenational.org/post_free.phpelif=1_CONTENUE/culture&rebmun=3386