Appelons ça le monde
Par Ernest Pépin
Un monde qui va
Dans une poussée d’entrailles, de volcans, d’îles, de continents, de failles, dans la spirale tournoyante des dérives et le grand délire chaviré de ses années-lumière
Vertige des malheurs qui traversent les écrans
Vertige des malheurs débités en tronçons de J.T
Une souffrance imprévisible, un grain de sable qui déraille sous le sourire figé des lunes immémoriales
Un monde qui se transforme au paroxysme des peurs lasses d’avoir peur
Un monde bouleversé par l’émotion des peuples
Un monde saoul de richesses assassines
Un monde qui se shoote à la guerre, qui se drogue au nucléaire et dont le blues ressemble à un tremblement du ciel
Un monde indigné
Un monde anesthésié
Un monde aimanté par sa propre destruction
Un monde à finir
Les robots dansent un cliquetis d’étoiles et nous rêvons tous d’un autre monde, d’une fleur qui dure et d’un oiseau qui traverse le temps
Nous les soumis
Les impuissants
Piégés par l’araignée du monde
Nous rêvons de rêver car nous sommes la semence d’une fable ensevelie sous les sables de l’humain
Nous sommes la pierre meurtrie
Les peuples affamés qui rôdent aux abords des greniers de Wall-Street et toutes les bourses du monde vampirisent notre sang d’affamé et nos étranges vertiges d’hommes drogués.
Nous sommes emportés, déportés, loin de tout ce qui se décide dans les conseils d’administrations du monde, loin de l’intelligence des actionnaires.
C’est pourquoi nous crions « A bas le monde ! »
Les tours flambent
La terre tremble
Le monde se démonde
La barbarie est au hit-parade des nations
Et les nations s’abaissent de plus en plus bas
L’argent
La Bourse
Les assassins
Les pollueurs
Les stars du crime
Ceux qui délocalisent le pain
Ceux qui empoisonnent le vin
Les maîtres du monde
Je sens une odeur de pourrissoir chimique
Une odeur de morgue à ciel ouvert
Une odeur de commando cynique
Une odeur de fric
Quand donc comprendront-ils que le monde n’est pas une matière première que le monde est une vie, une fourmilière de vie et qu’ils n’auront jamais raison devant la vie
Même la plus simple
Même la plus humble
Même la plus pauvre
Ils s’emballent
Ils déballent
Ils trimballent
Mais force reste à la vie
Les fourmis ont plus d’honneur
Les abeilles ont plus de bonheur
Alors je dis RESPECT
Respect pour les ours blancs
Respect pour les coraux
Respect pour le monde
Respect !
Respect pour la vie
Mais respect aussi pour les hommes et les femmes de ce monde
Respect pour ceux qui portent la vie du monde dans leurs veines et non dans leur porte-monnaie
Respect pour ceux qui portent la vie du monde dans leur conscience et non dans leur science
Technologie
Progrès
Modernité
Je vois de grands ulcères trouant la chair du monde
Je vois les fournaises de la haine
Les cœurs déréglés
Les sexes meurtriers
Les âmes rabotées
Les prières qui retombent au fond des enfers
Je ne vois rien
L’immense trou noir
La couche d’ozone
Les pesticides
La furie des climats fous
Le foutoir, oui, le foutoir
Le pourrissoir
Le crachoir
Des arbres de Noël d’où pendent des lambeaux ensanglantés du monde
Un fatras d’immondices et de viscères
Une poubelle pleine d’enfants
Une déraison
Une démesure
On appelle ça un monde
Je suis d’un autre monde
Rosée
Rosée
Et les pétales libres des matins
Et le souffle qui devient musique
Et les doigts des étoiles sur la peau de la nuit
Et le pouls de la mer par laquelle je respire
Et les gencives vertes de la forêt
Rosée
Le monde fut une promesse
Une sublime diversité
Un temple
Et nous voici mutant parmi les cendres
Enfants du grand désastre
Car nous avons cassé tous les jouets de l’arbre
Perdu la volupté des choses simples
Ciel boueux
Nous écrivons la barbarie des temps modernes
Qui comblera nos gisements
Qui même habitera nos tombeaux
Les jeunes crient qu’ils n’ont pas d’avenir
Qu’il vaut mieux tuer
Qu’il vaut mieux mourir
Car le monde est déjà mort
Que le naufrage a commencé et que le déluge ne viendra plus
Qu’il n’y a plus une branche pour faire un radeau
Que les voyages ont lieu dans les caves des banlieues
Qui même sommes-nous devenus
Au diapason des atomes tristes
Dans la main d’un clochard
D’un maquisard de l’espérance
Les yeux crevés par l’abondance
Dis-moi le monde où vas-tu
Au fond des mines
Au fond des mers sans poissons
Où vont tes satellites qui mordent l’espace
De quel côté le pouls du fleuve
De quel côté le flux
Le chant des baleines bleues
Et les langues disparues
Les syllabes éteintes
De quel côté le souffle
Les gardiens du dernier temple
Dis-moi le monde où vas-tu
Comme un ours aveugle
Dis-moi le monde
J’ai perdu la boussole de l’aigle
Je suis dans le labyrinthe des cités perdues
J’ai convoqué mille pluies
Incendié mille déserts
Invité mille flûtes
Mais je n’ai plus la force de muer
De visionner le film des guerres
D’appeler les lucioles à la rescousse
De revêtir la peau des rêves
Indignez-vous
Indignez-vous
Il y avait un monde à vivre
Un monde à partager
Pour l’amour du monde
Quel temps pour demain
Indignez-vous
Indignez-vous
Toutes les tempêtes se sont levées
Et du fond de mes yeux aux couleurs d’îles je célèbre la messe du monde
Au fond de mes yeux le monde a chaviré
Dur granit
Craie tendre
Les villes n’ont pas gagné la guerre
Elles ont détourné la paix
Aucun feu rouge ne remplacera une cerise
Prenez garde villes
Prenez garde
Je reviens de Sodome et Gomorrhe
De Ninive et de Babylone
Des premières grottes
Je suis le messager des boomerangs
Prenez garde
J’aimerais vous épargner
Epargner les reins de vos poupées parfaites
Epargner les carrefours et les souterrains tordus
Le sang mort des néons
Les hommes voyez-vous ne sont pas des quartiers de viande
Et dans la nuit fripée les neiges étincelantes d’une sculpture de glace
La verrière de nos silences où vient pleurer le ciel
La ville allonge sa peine comme une chienne qui va mettre bas sur le quai d’une gare
La ville enfile le temps calcine nos corps et nous pauvres trapézistes sans autre filet que la mort inventons des jeux de singes dans la cage de l’existence
Monde des paradis perdus
Parce qu’il n’est plus à découvrir
Monde fermé
Monde fini
Le plus grand miroir est un lac de sel bleu
Nulle présence ne nous attend hormis le naufrage des forêts et le tremblement infini de la chair
L’arc-en-ciel courbe son cou de girafe assoiffée
Les aubes ouvrent leur gueule de caïman
Et nous allons plus loin
Plus vite
Comme un solo de jazz en roue libre
Chargé d’héroïne
A tombeau ouvert
Virile parade d’où part la note pulvérisée d’un monde déjà fini
Suprême constellation du néant
L’autre monde
L’outre-monde
Et au fond d’un bastringue l’oracle des charniers
Le coup de foudre d’une trompette
Le grand roulis d’un bordel où s’époumone la mort
Et ça sent la sécheresse
Ça sent le paradis brûlé
Entrailles ouvertes du monde
Seule la beauté nous sauvera
Le sens de la beauté
Beauté précipitée comme une nouvelle chimie
Beauté qui ne voit pas mais que l’on ressent comme l’écho de l’univers
Universexe quand le monde nage sous les icebergs
Universexe hymne en expansion
Le vrai chant est à venir aux lèvres de la pauvreté du commencement
Une simple fleur nous attendait
Une simple fleur nous disait
Une sainte fleur priait pour nous mais nous avons choisi de vider la mer et de croire en l’explosion du soleil
Les amandiers rêvaient pourtant
Nous avons choisi l’abondance des supermarchés tandis qu’à l’autre bout du monde une mère pleurait tandis qu’à l’autre bout du monde mourait une poignée de terre
J’ai dit bonjour la vie
Bonjour l’eau sans verrou
L’eau qui va comme une vérité
L’eau qui m’élève à toutes les soifs
C’était l’eau
Ce n’était que l’eau
L’eau de l’orgasme du monde
Je porte les habits de l’eau
Je joue la gamme de l’eau
Goutte à goutte chaque source me comble
Goutte à goutte chaque larme me blesse
Goutte à goutte chaque femme me noie
Mais la rosée comme un sanglot
Mais la clé de l’eau
Mais l’oasis
Où est l’oasis
Préserve-moi eau de tout caillot de l’esprit
Je hais les bouteilles
Parce que j’aime la mer
Je veux croire aux archives de l’eau
Je veux croire au creux de la main
Je suis un homme d’eau vive
Vous qui asséchez le monde songez au songe de l’eau
Et ceux du Gange et du Congo
Ceux du Mississipi et de l’Amazonie
Que vous soyez laveurs de fleuves aux rives du monde
Que vous soyez la belle utopie d’un désert nostalgique
Pour vous le Danube
Pour vous le cri de l’eau et son aile liquide
Sa liberté
Son bonheur de serpent aux écailles de verre
J’ai dit bonjour la vie
J’ai dit bonjour le monde
Bienvenue à toute transparence
J’entends respirer le monde comme une mère qui allaite en vain
Ses seins de servante lasse feignent encore de donner
Et sur son front l’entaille du vivre plisse les soucis du jour
Ce fils qui retourne avec ses membres raides
Et cette fille violée par les rhinocéros
Pour la gloire de l’empire car toute cause est un empire
Toute cause trace sa frontière
Les attentats ont crevé l’abcès
Les dieux s’irritent en vain de toute cette corrida
Ni Allah
Ni Bouddha
Ni Jésus
Ni même ceux-là dont les noms sentent le sang n’ont vaincu l’homme des passions
La mère médite l’amour à l’autel de son lait
Il fait beau temps parfois et c’est accidentel
Le monde est au-delà de toutes lampes
Il est chose migratrice qu’aucun cœur n’a vaincue
Et nous sommes égarés dans la jungle du monde
Seuls craquent les dents des comètes
Les doigts des tours ont beau griffer le temps
Nulle cloche ne sonne l’éternité
Prendre la route m’appelle
J’ai une âme de gitan
Il faut laisser le monde là où il est comme une balle de golf qu’un joueur a perdu
Il faut prendre la route et surtout celle qui ne mène nulle part
La route des graffitis
La route des litanies
La route de la Grande ourse
J’ai soif des escapades dans la grande nuit du vide
Je sais que tout périple commence avec le big-bang
Que j’aime un couchant de verre brisé et de sueurs d’or
Que mon ancêtre était un jaguar noir
Un chaman dont l’âme brûlait des rêves
Un sniffeur
Laissez-moi grimper à la colonne vertébrale du monde
Débauche
Ivresse
Tout vient à rompre à qui sait partir
Je fête l’inapaisé
Plaisir grand réfractaire
J’en appelle au rhum prophétique
J’en appelle au gouffre
Ce monde n’est pas le monde où s’empoisonnent les touristes
Océans-amiral
Cessez de me mentir
Ce monde est une perle de souffrance
Seul le pirate est mon ami
Seul un rasta
Et nous cinglons vers l’autre rive
Un homme pousse les vents
Une femme tient ma folie dans ses bras
Je baragouine
Je trébuche
Je vire aux sept péchés
Ils ont mis des barbelés sous les semelles de Rimbaud
Et leurs poèmes ont froid
Les montagnes vont pieds nus pour enjamber les frontières
Nous n’avons plus que des alibis
La fête est finie
Il se peut que je sois au monde
Que je prenne racine dans le monde
Que tant de flottes m’accompagnent
De Picasso à Miles Davis
De Luther King à Mandela
J’aime les millénaires de Mère Térésa
Et Basquiat qui braille à New York
Soleil Scalpé
Soleil insatiable
Tigre noir sorti du fond des âges
J’ai tant de plaies à guérir
Tant d’amour à oublier
Cœur du monde
Appelez-moi Gandhi
Criez Satchmo pour moi
Et Myriam Makeba
Et toutes les racines du monde
Au vif du tout-monde
Croyez-moi
J’ai été de toutes les blessures
Je voulais croire
Je voulais vivre
Grimper la beauté
Convoquer tous les recommencements
Partager tous les souffles de vie
Je me tenais debout au bord de l’éclosion des tourterelles
Et je dansais le monde comme un tango
Ne me dîtes pas que nul ne peut renaître
Que seul l’enfer nous attire
Que tout n’est que violence
Que le monde ne rêve plus
Jimmy Hendrix
Je me souviens
Billie Holiday
Je me souviens
Mohamed Ali
Je me souviens
La femme qui s’allonge dans l’infini
Qu’elle soit la bienvenue au rythme de l’univers
Qu’elle soit la splendeur de l’horizon
Qu’elle soit le baptême du monde
La première communion
Le refrain dénoué d’un chant du grand large
Non pas la tournante
Le viol
La prostitution
Mais le vibrato d’un vent au rire de genèse
Je me souviens du monde
De la voix de Bob Marley prêchant la résistance
Je me souviens du désir du monde
De la gardienne des nuages
Et du berger des îles
De l’architecte aveugle
Je me souviens de l’espérance
Je me souviens des taches de sang
Je me souviens du souvenir et des cauchemars
Le monde est sur le pas des dunes
Et sous la laine de ses neiges
Sa tanière est un sanglot
Il voyage dans sa courbe et son orbe
Au plus profond du désastre
Des décharges
Des graffitis
Des sécheresses rampantes
Des pollutions qu’on ne répare pas
Des climats désorientés
Du sang versé
Il se demande comment faire pour contenir la barbarie de l’homme
O Terre
Terre intègre sous ses blessures
L’histoire des hommes est sans mesure
Terre périssable
Terre agréée entre tous les mondes
Terre que l’on enterre sous les siècles
J’évoque l’humus et la source
La dédicace des vents
Et l’homme qui tient son rang d’homme impatient du bleu de sa vigne
J’évoque l’homme qui s’acquitte de sa dette et qui tourne dos aux pilleurs
Aux gaspilleurs
L’homme-monde dont l’écho redouble le monde
Qui se confond avec la peau du monde
L’homme conciliable à toutes les feuilles du monde
A la plainte des rivières
A la rareté de l’eau
A la profondeur de l’or
Au songe d’un autre usage du monde
L’homme inséparable du monde et non le séparé
L’homme consanguin
Le fils des beaux présages
Celui qui remettra le monde aux mains du monde
Césaire
Glissant
Poètes des palpitations
Vous qui avez recousu la paroi du monde
Vous qui avez lu le Grand Livre des voyants
Venez à nous
Et dîtes-nous la place de l’homme parmi les trésors
La voix de l’homme dans le chœur
Monde je rêve haut
Nous sommes à l’heure de la veillée
Notre grief est dans une mouette
Dans un cargo plein de pétrole
Dans une maladie de marée noire
Dans le sceptre des dictateurs
Monde qui coule dans mes veines
Monde-sacrement
Monde ébloui de signes
Ressaisis-toi
Ressaisis-toi
Pure vibration solaire
Dans le billard de l’univers
Monde je rêve haut
J’appartiens au Grand Orchestre de l’univers
Au saisissement de la matière
A l’effervescence du nouveau souffle
L’orientation est à revoir
Le cheminement épuise l’essaim de nos vieilles archives
Les peuples sont à la peine et vivre déchante aux frontières même de l’art
L’orientation est à revoir
Pour que naisse la saison des hommes et le sceau de l’alliance planétaire
Je caresse aujourd’hui une steppe
Demain une lagune
Et dans le creux de mes mains
Je recueille l’œuf du monde
Qu’on me laisse en paix j’attends une naissance
Ernest Pépin
Saint-Martin
Août 2011
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